À ma mémère Yvette

21 novembre 2025

Cet été, j’ai perdu mon arrière-grand-mère, ma mémère Yvette. Elle s’est éteinte à 97 ans. J’ai eu la chance folle de la connaître pendant 24 ans. C’est elle qui a transmis la passion de la généalogie dans la famille. Elle gardait des piles de papiers, des albums remplis de cartes postales et des centaines de photos où elle notait soigneusement les prénoms dont elle se souvenait. Et même à plus de 90 ans, elle a gardé toute sa tête pendant longtemps. Elle nous racontait ses souvenirs et nous donnait des pistes pour remonter l’histoire de notre famille.

La vie de mémère

Mémère est née le 29 avril 1928 à Faux-Fresnay, dans la Marne. En 1949, elle a épousé mon pépère, Maurice, né en 1921 à Villeneuve-Saint-Vistre. Tous les deux étaient agriculteurs et ont consacré leur vie à la ferme et aux champs. Et ça se voyait, à la fois dans leurs habitudes et dans leur langage.

Mémère avait un vocabulaire bien à elle, plein d’expressions locales. On retrouvait du patois marnais comme s’entrucher ou nareux, mais aussi des tournures qu’on n’entendait que chez elle. Elle ne disait pas « dans le salon » mais « dans la carré », une expression que mon père utilise encore aujourd’hui et qui nous fait bien rire. Et puis il y avait ses mots introuvables ailleurs : pour rentrer les poules, elle utilisait son luyat, une sorte de bâton flexible avec un chiffon au bout.

Les petites habitudes de mémère

Elle avait aussi des habitudes bien ancrées. À midi pile, c’était déjeuner. L’après-midi, elle ne manquait jamais ses émissions : Des chiffres et des lettres, Slam, Affaires conclues et N’oubliez pas les paroles. À 19 h, souper, Plus belle la vie et au lit. Ce qui nous faisait le plus rire, c’est qu’elle tenait des carnets où elle notait le nom des candidats gagnants et leurs cagnottes de chaque jeu  télé qu’elle regardait. Elle pouvait ressortir que le 12 juin 2023, tel candidat avait gagné telle somme à N’oubliez pas les paroles.

Avec ses arrière-petits-enfants, elle avait toujours des petites attentions. Même quand nous avions vingt ans, mon frère et moi repartions toujours de chez elle avec des gâteaux ou des chocolats. Elle adorait recevoir les cartes postales qu’on lui envoyait à toutes les vacances. C’était aussi toujours la première à nous appeler à 8 heures pile du matin pour nos anniversaires : elle ne les oubliait jamais. Ces dernières années, nous lui faisions aussi livrer une gazette sur laquelle toute la famille postait des photos. Elle était toujours tellement impatiente de la recevoir chaque mois.

De nouveau réunis avec pépère

Depuis que pépère Maurice nous a quittés en 2012, elle gardait toujours une photo de lui avec ses médailles, posée bien en évidence « dans la carré ». Mais ces derniers mois, mémère commençait à perdre un peu la tête. La dernière fois que je lui ai rendu visite avec mon père, en juillet, elle nous a dit : « Vous ne devinerez jamais… j’ai revu Maurice. » Selon elle, mon pépère était revenu la voir après treize ans d’absence. Et le plus incroyable, c’est qu’elle racontait qu’il été parti tout ce temps… faire de la trompette ! 

En réalité, pépère n’en a jamais joué, mais mémère, dans sa petite confusion, en était persuadée. Elle allait même jusqu’à supposer qu’il avait dû cacher sa trompette dans l’armoire pendant toutes leurs années de vie commune. Alors quand elle nous a raconté ça, nous avons bien ri. Elle était si heureuse d’avoir « revu » pépère. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Un mois plus tard, mémère s’en est allée rejoindre pépère, pour de vrai cette fois. 

Mon plus beau souvenir avec ma mémère, c’est à mes 20 ans. Ce jour-là, elle s’est mise à chanter On n’a pas tous les jours 20 ans de Berthe Sylva. C’est un moment que je garde précieusement en mémoire.

La veille de son décès, mémère a aussi perdu son cousin, Pierrot, âgé lui de 98 ans. Ils étaient les derniers de cette génération. Les deux cousins se sont donc suivis dans la paix et cette génération s’est éteinte avec eux.